Bilan prématuré 

Voici aujourd'hui trois mois que la galerie est ouverte. C'est en soi la première fois que mon travail est exposé au regard du grand public et pas d'une élite très fermée confrontée aux codes de l'art qu'il faut faire.

Le prématuré bilan est mitigé.

J'ai récolté une ribambelle de phrases types que j'ai entendue, c'est assez drôle parfois triste, et parfois débile.

Elle commence par des éclats de rire ou des grimaces et ça finit par des onomatopée exagérées. Y'a le mec qui passe avec sa femme et puis comme ça fait dix minutes qu'ils marchent sans se parler, la vue de mes toiles et dessins est un bon prétexte pour briser la routine. "Han c'est marrant on dirait Jean-Mi, parce qu'il est chauve". La femme regarde, me regarde, et décroche un sourire forcé "oui, c'est.. drôle".

Les gens ont des réactions disproportionnées lorsqu'ils ne sont pas seuls. Ils ont envie d'en faire plus que ce qu'ils ne feraient s'ils étaient seulement accompagnés de leur chien. Les gens, face à mes dessins, ont des réactions différentes selon si l'artiste les entend ou s'il est caché derrière le mur. Les murs ont des mini oreillettes.

Après viennent les célèbres "C'est joli et drôle, j'adore, mais je ne mettrai pas ça dans mon salon". Je ne pense pas qu'on puisse qualifier mon travail de joli, bien au contraire, mais je me demande tout de même pourquoi, mais pourquoi, mais pourquoi tu ne mettrais pas ce truc joli et drôle dans ton salon ? Est il moche et triste, ton salon? J'ai trouvé la réponse à cette question suite à un dialogue que je vous copie-colle de la réalité (c'est arrivé mercredi dernier après la pause déj, c'est ça la réalité).

- Oh oh oh, qu'il est drôle, oh la la c'est.. han !! hein ? hé, regardes celui là il est excellent ha haprfffrr...grr... (femme qui ronfle en s’étouffant dans son rire). OAH J'ADOO-RRRE, dit la dame aux cheveux blonds très secs et aux pointes cassantes.

- Ah mais c'est horrible, dit froidement l'homme au cigare éteint dans la bouche

- ... ha.. ah non mais trop. C'est excellent mais beuah, c'est... horrible, dit la dame aux cheveux blonds encore plus secs et aux pointes brisantes. 

Si ça n'a pas répondu à la question de manière claire, je vois ici une toute petite peur de montrer ce que l'on aime. Cette femme aurait peut être acheté cette toile, seule, mais ça m'étonnerait, elle a besoin d'une voix confortante. La voix de son nouveau petit ami très riche, et très bien habillé lui a interdit d'une gifle sanglante d'envisager une seconde de plus que ces objets pouvaient lui plaire. Alors je vais dès à présent reformuler cette phrase type, on ne dit pas "C'est joli bla bla... bla bla dans mon salon" mais "Je trouve ça drôle, j'aime beaucoup, j'aimerai l'avoir dans mon salon, mais je ne suis pas sûre que mes invités apprécieront, c'est un trop grand risque pour mon image, je vais plutôt acheter un Picasso, c'est une valeur sûre et j'ai déjà entendu mes amis en dire du bien".

J'ai conscience que mon travail évoluera, qu'aujourd'hui j'ai adouci mon trait pour plaire à une plus grande palette de personne. Je n'exclue pas la théorie que mon travail n'est peut être pas exposable dans un intérieur ou ailleurs qu'une publication Facebook.  C'est peut-être ça, la raison. Mais je suis ravie que plusieurs personnes aient fait le pas de changer la donne en me prenant des pièces cet été. Certaines sont à ce moment même en train de voyager en dehors du territoire européen. Ça leur donnera un côté baroudeur à mes toiles.

D'autres personnes se sont emparées de toiles, t-shirts, mugs ou de dessins encadrés juste pour le fun, j'ignore s'ils ont déjà fait le pas de planter un clou pour les y accrocher.

D'autres encore ont acheté des pièces pour offrir, je ne sais pas si ces gens ont vomi à l'ouverture des cadeaux et s'ils s'entendent encore bien.

Tout cela étant, je ne suis pas une bonne vendeuse. C'est difficile de complimenter son propre travail pour le rendre beau aux yeux des gens. J'ai vu cet été des artistes le faire à la perfection. Ce sont des artistes qui s'aiment, et qui annoncent aux client " Voilà, celle ci je l'ai faite, c'est moi l'artiste, je l'adore, elle est belle hein ?"

Les clients très peu sûrs au début acquiesçaient mollement pour finalement (après exactement dix minutes de blabla ) repartir avec une toile sous le bras. C'est surprenant de se faire manipuler aussi facilement. J'imagine ces gens rentrer chez eux, avec la certitude d'avoir fait le bon choix parce qu'on leur a susurré l'idée, dans leurs maisons faite d'objets tous aussi susurrés les uns que les autres.  

PARCE QU'ON LEUR A DIT.

Je ne suis pas une bonne vendeuse. Je ne m'aime pas assez pour faire du commerce de requin, mais j'aime être là tout près, et observer vos réactions qu'elles soient bonnes ou mauvaises. J'aime voir que mes dessins suscitent chez vous de vives émotions, aussi bien positives que négatives, et c'est surtout les négatives qui me plaisent et qui m'atteignent le plus. Bien que les positives font plaisir pour l’ego, le narcissisme et tout ces trucs qui finiront par grandir en moi si je me réfère à mes voisins artistes vieux et expérimentés.

J'ai hâte de me kiffer, et de vous regarder de haut et de me prendre pour une vraie artiste, comme j'ai hâte !

Sur cette note sarcastique, je vous salue, et vous dit à bientôt pour peut être un article hilarant sur ma vie d'artiste à la galerie.

Sabrina

* Des mots qui ne sont pas dans le vocabulaire français se sont glissés dans ce texte, saurez-vous les retrouver ?